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La boucle est bouclée

De retour au Nürburgring pour les Modena Track Days, deux ans après l'accident dont j'avais été victime au retour de l'édition précédente, j'espérais bien profiter un maximum de cet événement aux côtés de Jacky Ickx, Je n'allais pas être déçu !

Je suis arrivé, en compagnie de Dominique Dreneau, le lundi vers 9h30 sur le circuit de l'Eiffel. Dominique racontera l'ambiance générale et son expérience de ces deux jours formidables dans un prochain article.

Dès que nous rencontrons Jacky Ickx, celui-ci me dit : "Je suis ici avec l'Audi R8 V10 et tu viendras faire un tour de circuit avec moi!". A ce moment, je ne réalise pas encore ce qui va m'arriver.

En réalité, Jacky Ickx est présent avec deux Audi R8 : une version route et une version de 550 ch préparée pour la compétition qu'il a déjà pilotée en Espagne. Ces voitures «Taxi» sont là pour emmener les V.I.P. et autres membres de la presse pour un tour de circuit, promotion oblige.

Face à l'affluence des candidats à ce parcours de rêve, je décide de reporter mon tour au lendemain car, par expérience, je sais que la foule est bien moins importante le deuxième jour de l'événement. J'en profite pour faire inscrire Dominique sur la liste des co-pilotes de ce lundi.

Je ressens au fond de moi deux sentiments, d'une part une excitation de rouler aux côtés de Jacky Ickx et, d'autre part une appréhension à rouler dans cette voiture. En effet, ma seule expérience des voitures de compétition est un tour du vieux Spa-Francorchamps à bord d'une Ferrari P3-P4 en 1965 ou 1966. J'avais rendu service à l'équipe de "Beurlys" et en remerciement, j'avais eu droit à ce tour de circuit. Il n'y avait pas de siège passager et j'étais assis sur une vieille couverture, me tenant comme je pouvais à ce que que je pouvais. Mes seuls souvenirs sont la vitesse hallucinante dans la descente de Masta et la manière dont j'étais secoué à chaque virage. J'ai également eu l'opportunité de rouler comme passager dans une Ford GT40 (une réplique) mais à allure très réduite sur route ouverte.

Comme prévu, le mardi matin, la foule est moins dense. Ce matin, Jacky emmène les premiers candidats dans l'Audi de route et après quarante-cinq minutes il rentre dans le stand Audi, se dirige vers moi et le dialogue s'engage :

- Tu n'es pas venu rouler avec moi ?
- Non, je préfère rouler avec la version compétition...
- Ah... Monsieur ne veut pas rouler dans n'importe quoi...
dit-il en souriant
- Et bien, si j'ai le choix...
- Ton cœur va bien ?
- Oui, pourquoi ?
- Parce que je vais te faire remettre ton petit déjeuner... hahaha...


Puis en regardant les techniciens Audi monter de nouveaux pneus slick, il dit, toujours en riant :

- hum, et en plus on me monte de nouveaux slicks...ça va faire mal...

Pas rassuré par cette conversation, mon sentiment d'appréhension s'amplifie. Dominique m'avait pourtant dit qu'il n'avait pas ressenti de sensations extrêmes lors de son tour, la veille, avec Jacky. Mais bon, quand le vin est tiré il faut le boire jusqu'à la lie... et quelques dizaines de minutes plus tard, me voici dans la pitlane avec le casque en carbone sur la tête, prêt à m'installer dans ce monstre de 550 ch. La portière s'ouvre, je me glisse dans le profond siège baquet et le technicien Audi fixe solidement le harnais de sécurité. Je vois le regard malicieux de Jacky se porter vers moi et je me dis "là, ça va être ma fête ...".

Un coup sur le bouton du démarreur et je sens le monstre vibrer derrière nous. Jacky engage la première vitesse et nous roulons à allure modérée dans la pitlane, jusque là... tout va bien...
En bout de pitlane, le feu est orange puis, après quelques secondes, passe au vert. A cet instant, je suis collé au fond du siège par l'accélération brutale, Jacky se lâche...

On arrive déjà au premier virage à droite qui se négocie très large, coup de frein léger suivi d'une accélération brutale alors que je vois déjà apparaître la prochaine courbe à gauche. Mais... il ne freine pas ??? Il continue d'accélérer ???

A cet instant et pendant les trois secondes qui suivent, je vous jure que je regrette d'être monté dans ce bolide... je suis envahi par un véritable sentiment de panique. Heureusement, la maîtrise de Jacky me rassure très vite et le sentiment de panique est très vite remplacé par celui du plaisir.

La formidable tenue de route de cette voiture à quatre roues motrices vous fait encaisser une force centrifuge incroyable... les courbes rapides sont négociées à plus de 180 km/h, les freinages sont plus que tardifs, impossible de maintenir le casque au fond de l'appuie-tête du siège, les pieds tentent de maintenir le corps, pourtant bien retenu par le harnais, au fond du siège, mais rien n'y fait. Je tente de m'orienter sur le circuit, j'admire la manière dont Jacky dompte ce monstre roulant sans brutalité mais avec la poigne nécessaire. Les vibrations ressenties au passage sur le vibreur dans un virage serré me confirment que nous ne sommes pas en balade.

Une Porsche 908 se trouve devant nous, mais par pour longtemps. Dans une courbe rapide, Jacky la dépasse sans hésitation, probablement plus facilement qu'à l'époque où il pilotait la Ferrari 312 PB, quoi que...

Nous voilà déjà dans le dernier virage et bien vite la ligne droite devant les stands est avalée à plus de 300 km/h. J'appréhende les trois prochains virages qui m'avaient induit ce sentiment de panique mais l'organisme humain s'adapte très vite à la situation et je déguste ce deuxième passage à sa juste valeur, je prends conscience du cadeau qui m'est offert par Jacky sans qui je n'aurais jamais ressenti ce plaisir.

De retour dans la voie des stands, je pose ma main sur son bras et le remercie pour ces instants magiques qu'il vient de partager avec moi. Pour toute réponse, il m'adresse un petit sourire en hochant la tête. C'est un peu plus compliqué de s'extraire de la voiture que d'y entrer, ma corpulence et mon âge y sont certainement pour beaucoup. En regagnant le stand, tout en ôtant le casque, j'ai du mal à réaliser ce qui vient de m'arriver. Dominique Dreneau vient vers moi et m'interroge. J'ignore ce que je lui ai répondu car mon esprit était ailleurs, à 250 km/h...

Lorsque Jacky revient aux stands après son dernier voyage "Taxi", il vient s'asseoir près de moi et me dit :

- Alors, ça va ?
- Oui, mais je ne pensais pas que tu attaquerais si fort
, lui dis-je;
- Je n'ai pas attaqué, dit-il tout en riant, quand j'attaque il y a de la fumée partout...
- Tu vois que je n'ai quand même pas remis mon petit déjeuner
, répondis-je sans oser lui dire que j'avais quand même paniqué durant quelques secondes,
- C'est bien, dit-il en posant amicalement sa main sur mon épaule.

Un peu plus tard, nous décidons de prendre le chemin du retour car nous sommes comblés. Je me dirige vers Jacky pour le remercier encore une fois avant de se dire au revoir. Il me conseille la prudence sur le chemin du retour, se rappelant certainement mon accident lors de la précédente édition.

En tant qu'admirateur de Jacky Ickx, je suis comblé, après qu'il m'aie donné son amitié, j'ai eu le plaisir d'être à ses côtés dans une voiture de compétition sur le circuit qu'il connait probablement le mieux. La boucle est bouclée.

Toutes les photos sont disponibles dans la galerie


Ecrit par Julien Garnier
Publié le 14-07-2009

Vos commentaires

Good vibrations ( Ecrit par Clovis le 14-07-2009 )

Il est évident que je ne pouvais pas laisser passer l'occasion d'ajouter mon petit grain de sel dessiné pour illustrer à ma manière cette belle aventure.

Merci Jacky, grâce à toi, le Nürburgring restera à jamais un merveilleux souvenir pour Julien!


Jacky au Nurburgring ( Ecrit par Prion Pansius le 20-07-2009 )

Merci pour ce magnifique reportage et superbes photos. Jacky la légende est toujours bien là! Quelle joie de le revoir à travers ce reportage. Merci Jacky de m'avoir fait tant rêvé depuis 1967 et d'avoir pu hisser maintes fois le drapeau belge lors de tes prestigieuses victoires.

en voiture avec Jacky ( Ecrit par Christian NIHOUL le 02-08-2009 )

Je suis jaloux Julien .. T'es un veinard .. note que moi aussi j'ai eu le plaisir d'être à coté de Jacky au Volant mais c'était une Rolls et entre l'avenue Louise et le Bercuit... Merci Jacky
Porte toi bien Julien Ton site est Merveilleux