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La tête dans les étoiles

Lundi 30 juin 2009 - 17h25 – Circuit du Nürburgring.
La main gantée actionne le démarreur. Instantanément, le V10 répond à la sollicitation du pilote. Son grondement sourd résonne dans mon dos et envahit l'habitable surchauffé.
Par ce simple geste Jacky Ickx vient de donner vie à un très vieux rêve : monter à ses côtés dans une voiture de course. Quel passionné n'a pas eu ce désir fou ?
Ce qui, hier, n'était encore que du domaine de la fiction est en train de devenir réalité.

Mais comment en suis-je arrivé-là ? Pour le comprendre, un petit retour en arrière s'impose…..
Tout débute il y a quelques semaines, lors d'une conversation téléphonique avec Julien Garnier, auteur de ce site Internet, durant laquelle il me propose de l'accompagner au Nürburgring à l'occasion des Modena Track Days, les 29 et 30 juin. Les reportages sur les précédentes éditions m'avaient mis l'eau à la bouche et la proposition de Julien tombait à pic. Malgré la distance, je décidais immédiatement de faire le déplacement.

La veille du grand jour, je me rendais en Belgique afin d'y retrouver Julien avec qui nous avions convenu de faire voiture commune.

Le lundi matin, Julien au volant, nous prenons la route de bonne heure et après deux heures de route, nous arrivons tranquillement à destination. Entrée directe dans le paddock, parking à 50 m des stands….. en quelque sorte une arrivée VIP (very impatient people !!!!!).

Impatients, il va falloir trouver Jacky Ickx…En descendant de voiture, Julien reconnaît la voiture personnelle du Ringmeister, stationnée à quelques mètres de la nôtre.
Pour patienter, nous flânons le long des stands pour prendre la température de l'événement. La météo est idéale et le restera pendant les deux jours, à l'exception d'une averse durant la pause du déjeuner du lundi.
Ce qui frappe dès le début, c'est un sentiment de grande liberté. La possibilité de se promener sans contrainte à travers les stands, au milieu des voitures. Ici pas d'incessants contrôles de badges, pas de stands ressemblant à des bunkers dans lesquels on masque tout dès que la voiture rentre. Ici, vous pouvez approcher les voitures, les toucher. Vous pouvez presque vous glisser dans l'habitacle pour le photographier. Tout cela sans que personne ne vous jette un regard suspicieux ou désapprobateur. On se croirait de retour à l'époque des gentlemen-drivers. Je découvre la richesse et la diversité du plateau: F1, Sport Protos, Grand Tourisme etc….Il y en a de toutes les époques et pour tous les goûts.

Avant que les premières voitures n'entrent en piste, Julien et moi-même concentrons nos efforts à trouver Jacky Ickx. Arrivés à son stand, nous avons le plaisir de constater qu'il s'y trouve à présent. Julien se dirige vers lui afin de le saluer. Je me fonds alors dans son sillage, tout intimidé et décidé à être discret et peu dérangeant. En voyant arriver Julien, Jacky se dirige vers lui avec un large sourire et le salue chaleureusement. Moi-même, toujours tapi dans l'ombre de Julien, j'ai aussi droit à un bonjour très cordial qui me réjouit définitivement. Ce n'est certes pas la première fois que j'approche Jacky Ickx de très près, mais comme toujours cela déclenche une émotion particulière. A mes yeux cela porte un nom très précis: le charisme. Et je crois que cet homme en a à revendre.
Passé le stade du salut, la conversation avec Julien se poursuit pendant quelques minutes sur un ton sympathique et souvent plein d'humour. L'humour, une arme que Jacky pratique volontiers et à la perfection.
Ensuite, il se tourne vers les techniciens d'Audi chargés de préparer la voiture avec laquelle il va rouler pendant deux jours: la fabuleuse R8 V10. Il faut souligner combien Jacky Ickx est attentif aux hommes chargés de préparer la voiture. Un petit mot gentil, un sourire, une plaisanterie, une petite tape amicale sur l'épaule, un bref salut de la main à chaque départ en piste: autant de signes révélateurs de la considération qu'il porte à ces hommes. Après un bref conciliabule technique, il monte dans l'auto afin de procéder aux différents réglages (pédaliers, rétroviseurs…). Nous observons avec intérêt ce cérémonial qui me permet de prendre une première série de photos.

Pendant ce temps, les premières voitures ont pris possession de la piste et je quitte un moment le stand Audi pour aller voir les "monstres" en action. Il s'agit là des "voitures classiques toutes marques jusqu'à 1975". Viendra ensuite le plateau des F1 puis celui des Voitures de Sport. Chaque plateau est en piste pendant 40 mn. Pendant les deux jours, les plateaux se succèdent les uns aux autres avec de très courtes interruptions entre les séries. Un rythme soutenu qui permet de ne jamais s'ennuyer. Surtout à voir passer tant de magnifiques autos: FerrariF1 (500 de 1953, 312 de 1967, 312 T4 de 1979, F87 de 1987, 412 de 1995, F300, F2002 etc…), Ferrari 312 PB et 512 M, Ferrari Daytona, Enzo, Porsche 908, Alfa Roméo GTA, Sauber Mercedes, Mercedes CLK, Mac Laren F1, Renault F1. La liste serait longue encore… Un vrai régal de voir se succéder ces voitures entrées au Panthéon du sport automobile. Un bonheur de revoir en mouvement ces œuvres d'art dédiées au culte de la vitesse. Et là, au Nürburgring, toutes ces gloires anciennes ou plus récentes peuvent de nouveau s'exprimer sous nos regards avides.

C'est dans la série des Voitures de Sport que l'Audi R8 V10 doit rouler avec Jacky Ickx aux commandes. Peu avant midi, après que les techniciens d'Audi aient fait chauffer l'auto, il s'installe au volant. Même pour quelqu'un habitué à ce genre d'exercice, pénétrer dans la voiture nécessite quelques habiles contorsions. Lorsque la piste ouvre, le pilote met le moteur en route, s'engage dans la voie des stands et s'empare de l'asphalte qui s'offre sous ses roues. Tout ceci bien entendu, sous le regard attentif de nombreux spectateurs. Jacky va effectuer ainsi plusieurs tours ressuscitant la magie de jours anciens. La magie d'un temps où sa présence et son pilotage donnaient de la couleur aux circuits. Donnaient de l'éclat aux courses auxquelles il participait.

Après quelques tours, il s'arrête pour prendre avec lui un passager, puis un suivant...
Il apparaît alors que, pendant ces deux jours, quelques rares privilégiés pourront partager ce bonheur rare de monter à bord d'une voiture de 550 ch pilotée par une légende du sport automobile !!!
Au gré des informations qui nous parvenaient du stand Audi, il semblait possible que je puisse moi aussi connaître ce bonheur. Julien me conseillait de m'inscrire et je me prend à espérer secrètement d'accéder au nirvana avant de quitter le circuit à la fin des Modena Track Days.

Jacky Ickx devait reprendre la piste en fin d'après midi. Qui allait être sur la liste des heureux élus autorisés à s'asseoir à ses côtés ? Je ne quittais pas le stand Audi en attente du précieux sésame. Quand il me fut finalement accordé, il me restait à savoir si j'accèderai à la voiture le jour même ou le lendemain. Pour oublier cette incertitude, il restait fort heureusement les voitures qui continuaient à tourner, offrant un superbe spectacle. Et puis, il y avait toujours la possibilité de goûter à la présence de Jacky Ickx. Etre durablement à ses côtés permet de constater que, bien que très souvent sollicité par les spectateurs, les journalistes ou les photographes, il ne se départit jamais de sa courtoisie, de sa disponibilité et de sa gentillesse. Exemplaire...

16h50. La piste s'ouvre aux voitures de sport. Elle s'ouvre donc à Jacky Ickx…et à mes espoirs de mettre le pied dans la voiture. Les premiers heureux élus accomplissent leur passage dans l'Audi R8. A chaque fois qu'ils mettent le pied à terre, leur yeux brillent et les commentaires sont pleins de bonheur.
Soudain, à 17h10, l'un des techniciens Audi me tend une cagoule et un casque intégral. Ca y est, mon tour arrive. Je m'équipe immédiatement. Sous l'émotion, je peine à attacher la jugulaire du casque. Julien m'aide et me voilà paré. La voiture est en piste mais avant moi, un autre candidat aux montées d'adrénaline attend son tour.
Sous le casque, mes pensées bouillonnent, se mélangent. La voiture s'arrête. Son passager en descend. Il est immédiatement remplacé par le suivant qui s'installe dans la voiture. Il est sanglé par un des techniciens. J'observe attentivement car le prochain, ce sera moi. Mon cœur s'accélère déjà un peu. La voiture part et le temps est alors suspendu. Il me semble que ces quelques minutes durent une éternité. Lorsque la voiture réapparaît dans la pitlane, mon rythme cardiaque augmente encore un peu, ma gorge s'assèche.
L'Audi s'immobilise juste devant moi, je peux me glisser dans la voiture. L'exercice n'est finalement pas très difficile. Une fois assis, le rituel se répète. Le technicien Audi fixe le harnais qui dans quelques instants m'empêchera d'aller embrasser le pare-brise. La portière se referme. Le monde n'existe plus autour de moi. Cette voiture est une bulle hermétique. Je suis assis aux côtés d'une légende, dans l'environnement qui l'a rendu légendaire. Je retiens mon souffle.

17h25 - La main gantée de cuir actionne le démarreur. Instantanément, le V10 répond à la sollicitation du pilote. Son grondement sourd résonne dans mon dos et envahit l'habitable surchauffé… Jacky Ickx enclenche la 1ère et la voiture se met en mouvement. La légère accélération montre déjà qu'il y a de la puissance à revendre au cœur de ce V10, que cette puissance ne demande qu'à se déchaîner. La pitlane est parcourue à allure réduite comme il se doit.
Le feu vert est allumé ce qui autorise l'entrée en piste. Le pied droit de Jacky Ickx enfonce l'accélérateur sans retenue et une main invisible me colle instantanément contre le fond du siège. La vitesse s'accélère à un rythme que je n'ai jamais connu. Les rapports de boite de vitesse sont montés avec rapidité et précision. A peine le temps de comprendre ce qui m'arrive que se profile le 1er virage.
Le freinage est à la mesure des accélérations. Peut être même plus vif encore. Ce premier virage, quasiment une épingle à droite, est parfaitement négocié. Dès que la voiture est en ligne, le souffle du moteur se déchaîne à nouveau pour précipiter l'Audi vers le prochain virage.
Dans quel sens ce virage ??? Serré ou ouvert ??? Et le virage suivant est-il rapide ou lent ???
En fait, après la première épingle, je suis incapable de me souvenir du circuit. Mes yeux ne savent plus quoi regarder tant il y a de choses à voir. Mon cerveau ne sait plus quoi enregistrer tant il y a de choses à retenir. Tout va très vite. Et en même temps tout semble se dérouler lentement tant la maîtrise de Jacky Ickx est grande, tant les limites de la voiture semblent lointaines.
Je ne sais plus quoi regarder. Alors je regarde tout: la piste qui défile très vite, les virages qui se succèdent à un rythme effréné, ponctués par les freinages et les accélérations. J'observe les mains de Jacky sur le volant et le levier de vitesse. J'étudie les mouvements de ses pieds jouant de l'accélérateur et du frein.
Et surtout, je contemple son regard fixé sur la piste, concentré à l'extrême. Tout ceci dans un calme olympien. Tous mes sens sont en éveil: mes oreilles sont emplies par le bruit du V10 qui rugit derrière le siège. Mon corps ressent les moindres soubresauts de la piste, il sent la voiture se dérober brièvement sur un vibreur pendant un 1000 ème de seconde, avant de retrouver totalement l'adhérence.
Quelle vitesse atteignons-nous ? Je suis incapable de le dire car pas une seule fois mon regard ne se pose sur le compteur. Trop d'autres choses à regarder. Bien plus qu'une vitesse affichée, seules comptent les vraies sensations ressenties.
Et puis je me souviens aussi d'une voiture que nous rattrapons rapidement et qui nous ralentit un peu. Jacky reste prudemment derrière pendant quelques virages avant de la dépasser juste à l'entrée d'une courbe sur un freinage appuyé. Il était temps cette voiture plus lente était en train de gâcher la fête !!!
La fête de la vitesse et des sensations. Mais cette prudence dans les dépassements, ce respect de la mécanique et des autres voitures en piste, n'est-ce pas l'une des clefs essentielles des 6 victoires de Jacky Ickx au Mans ??? Une fois la piste libre devant nous, c'est de nouveau comme un tour de montagnes russes. Mais qui s'achève très vite. Trop vite.
L'attente avant de monter dans la voiture avait paru sans fin. Le temps passé dans la voiture n'a semblé durer qu'une seconde.
En empruntant, la voie d'accès aux stands, je n'arrivais pas à croire que c'était déjà fini. Mais je venais de vivre des moments exceptionnels. Et d'assister à une symphonie de pilotage. Un concerto en virtuosité majeure. Bien entendu, Jacky Ickx n'avait pas piloté à ses limites. Il en était même certainement très très loin. Mais pour le commun des mortels, pour le conducteur du quotidien, l'expérience n'en n'est pas moins exceptionnelle et inoubliable.
Le sentiment dominant tous les autres, c'est un plaisir absolu marqué par l'absence totale de peur ou d'appréhension. La maîtrise du pilote saute aux yeux du profane et le mets immédiatement en confiance.

Arrivée au stand, la voiture s'immobilise. La portière s'ouvre et il faut maintenant s'extraire de l'auto. C'est une tâche plus compliquée que de s'y installer. A moins que la motivation n'ait été plus grande d'y entrer que d'en sortir !!!! Il me fallait maintenant reprendre mes esprits. Pas simple.
Peu de temps après ma descente de voiture, la journée s'achevait. Avant de rejoindre notre hôtel, nous allons saluer Jacky Ickx qui se détend tranquillement au fond du stand. Quelques mots sympathiques, une dernière plaisanterie et nous prenons congés en attendant de se retrouver le lendemain. La journée se termine paisiblement, permettant de récupérer de toutes les émotions des dernières heures.

Le lendemain, à peine sommes-nous dans le stand Audi que Jacky Ickx arrive à son tour. Comme la veille, l'accueil est chaleureux et taquin !!! Sur le ton de la boutade, il s'inquiète de la santé de Julien avant que celui-ci ne monte dans le baquet du passager de la R8.
En fin de matinée, Jacky Ickx prend de nouveau la piste et, cette fois, parmi ses invités de la matinée figure Julien qui a publié ses impressions dans l'article précédent.

La matinée touche à sa fin et après avoir vécu tous les deux des instants d'une telle intensité, nous pensons que le programme de l'après-midi (concours d'élégance des voitures) risque de nous paraître bien fade. Nous décidons alors de prendre le chemin du retour vers la Belgique.

Bien entendu, il nous reste à saluer à Jacky Ickx. Quelques dernières minutes de conversation. Quelques ultimes échanges de plaisanterie. Les encouragements de Jacky à faire bonne route pour le retour et nous nous séparons.

Au moment de franchir la porte du stand, je me tourne une dernière fois vers cet homme qui depuis mon enfance, et un jour de Juin 1969 au Mans, véhicule quelque chose de si spécial à mes yeux. Je jette un dernier regard à ce Monsieur qui vient de m'offrir quelques magnifiques souvenirs au cours des heures précédentes. Au fond de moi, résonne alors un "Au revoir Mr Ickx et merci pour tout".

Le retour vers la Belgique s'effectue sans encombre mais il me reste encore 6h de route vers la France. Après avoir salué Julien et son épouse, j'entame en fin d'après midi ma route vers la maison. Sur le long chemin du retour, les images et les émotions se bousculent en moi. C'est à ce moment là, avec un peu de recul bien nécessaire, que je prends enfin toute la dimension de ces deux jours magnifiques. L'événement vécu s'est avéré plus fort que tous mes espoirs les plus fous. Aucun regret d'avoir accompli ce long périple. Le regret aurait été de ne pas y être allé. Au moment d'écrire ces lignes, quelques jours après cet événement, je me demande si tout ceci n'était pas qu'un rêve. Mais la réponse s'impose: il s'agit bien de la réalité.

Ces deux jours brilleront à jamais dans l'armoire de mes souvenirs personnels. Et je ne peux terminer cet article sans remercier ceux qui les ont rendus possibles:

  • Modena Motorsport pour organiser un événement remarquable où les amoureux de belles voitures peuvent assouvir leur passion en totale liberté.
  • Julien Garnier qui en me proposant de l'accompagner est évidemment le moteur de cet escapade allemande. Sans lui, je n'aurais même pas pensé pouvoir être un jour dans une voiture de sport aux côtés de Jacky Ickx. Sans lui, sa passion et son travail quotidien, ce magnifique site Internet n'existerait pas. Quand on voit le résultat, ce serait dommage. Julien, jamais ceux qui fréquentent ce site ne te remercieront assez...
  • Et bien entendu Jacky Ickx lui-même pour sa gentillesse, sa bonne humeur et sa disponibilité. Etre à ses côtés pendant quelques heures confirme quel grand Monsieur il est. Gentleman-driver sur la piste. Gentleman dans la vie…. tout simplement.


Ecrit par Dominique Dreneau
Publié le 22-08-2009

Vos commentaires

Une foule de détails à bon escient ( Ecrit par Claude Millabet le 24-08-2009 )

Cette multitude de détails progressifs nous amennent à l'instant magique que tout fanatique de Jacky Ickx rève de connaître ne serait-ce qu'une seule fois dans sa vie.
Vous avez fait partie des heureux passagers de ce Pilote Unique et j'en suis sincèrement comblé pour vous.
Vous soulignez à juste titre la disponibilité, la gentillesse et l'humour de Jacky, et, pour l'avoir vécu, je confirme personnellement ce comportement.
J'ai relevé dans votre article une phrase que je trouve très forte et qui dépeint merveilleusement ce Grand Monsieur " la magie d'un temps où sa présence et son pilotage donnaient de la couleur aux circuits. Donnaient de l'éclat aux courses auxquelles il participait "
Dominique, bravo pour cet article et merci.
Claude.