X-Files > L'enfant terrible


Depuis la fin de la guerre 40-45, le monde occidental a eu l'énorme privilège de vivre en paix dans une relative prospérité, ce qui a permis à l'homme d'accomplir toutes sortes d'exploits pour d'autres raisons que sa seule survie. Est-ce parce que Jacky Ickx est né le premier jour de cette année 1945 qu'une bonne fée s'est penchée sur son berceau ?

L'éclectisme d'une carrière qui n'a guère suivit d'autre plan que celui de son envie, ce dilettantisme éclairé et tenace à l'heure du professionalisme naissant, l'intelligence d'un écolier que ses professeurs ne sont pas parvenus à intéresser: toutes ces caractéristiques ont fait de Jacky Ickx un pilote automobile pas comme les autres. Portrait d'un héro en temps de paix, chez qui l'homme a su dépasser le champion.

La chance est un mot qui revient souvent lorsque l'on demande à Jacky Ickx de jeter un coup d'oeil dans le rétroviseur de sa vie. Pour un pilote de Formule 1 de sa génération, le signe de cette chance, c'est surtout d'être encore vivant à l'aube de la cinquantaine: la providence s'est trouvée sur sa route lorsqu'il en a eu le plus besoin, pendant plus de trente ans de sports mécaniques. La chance, c'est d'être passé au travers d'inéluctables coups durs, de quelques accidents terrifiants et de blessures douloureuses, tant physiques que morales: un parcours qui donne une perspective humble et profonde sur les vraies valeurs de la vie, ce bien tout à la fois inestimable et si précaire. La chance, c'est aussi de poursuivre aujourd'hui une existence heureuse et sereine dans un entourage familial animé par cinq beaux enfants d'âges étalé. C'est de tout cela dont Jacky est conscient lorsqu'il parle de la chance. Mais elle n'explique pas tout. Ce n'est pas elle qui a gagné huit Grands Prix de F1, six fois les 24 Heures du Mans (une performance inégalée), deux titres mondiaux en endurance et le record du nombre de victoires en sport-prototypes, la série CanAm et rallyes-raids comme le Paris-Dakar, parler d'accomplissements souvent forts que des victoires. Alors, est-ce qui explique ce panache si particulier et l'éclectisme qui auréolent la carrière de Jacky Ickx ?Les dons et le talent, cette matière première dont tous les champions héritent par naissance, quel que soit leur sport, n'est pas non plus suffisante. Ce qui distingue les sportifs de haut niveau les uns des autres, c'est l'usage qu'ils font de ce talent, au gré d'autres qualités et défauts qui déterminent la personnalité de chacun d'entre eux. Certains polissent leurs dons par un travail acharné: si cela avait été le cas de Jacky, son palmarès aurait été encore plus riche. Mais notre homme a le goût de l'effort, pas celui de la routine laborieuse: «Je n'aurais jamais pu m'adapter à l'époque actuelle et tenir le rythme de consacrer tout mon temps et toutes mes pensées à la course automobile comme l'exige la Formule 1 moderne. Déjà, dans les années '70, alors qu'on ne faisait encore que peu d'essais privés, Enzo Ferrari me reprochait mon intérêt mitigé pour ce travail de fond, que je trouvais vite fastidieux lorsqu'il se prolongeait».

"Vous serez dernier toute votre vie!"

L'éducation familiale a joué un rôle prépondérant dans l'orientation de la vie de Jacky Ickx. Il explique que depuis sa plus petite enfance ses parents l'ont laissé libre d'entreprendre seul les choses difficiles, en l'informant des écueils qu'il aurait à surmonter et en lui expliquant comment s'y prendre. «De sorte que je réussissais parfois et, quand je ne réussissais pas, j'avais tout de suite envie de recommencer. En fait, mes parents m'ont toujours laissé une liberté presque totale pour les choses accessibles à mon raisonnement. On m'expliquait le pour et le contre, et on me laissait choisir». La pratique du sport et de la compétition faisait partie intégrante de ce système éducatif. C'est ainsi qu'après la trottinette et le vélo, Jacky Ickx enfourche tout naturellement son premier cyclomoteur, puis un Zündapp 50 cm³ que son père lui a offert pour s'initier au trial.Très vite, Jacky remporte plusieurs victoires et, en 1962, un pneu arrière crevé à la fin d'un parcours ne l'empêche pas de négocier avec succès les deux derniers non-stop. Remarqué par ce signe de détermination, il est invité par Zündapp à disputer une épreuve en Allemagne au volant d'une machine d'usine, ce qui débouche sur son premier statut de pilote officiel.
Curieux, Jacky est attiré par d'autres expériences et, toujours en 50 cm3 en raison de son jeune âge, il tâte du moto-cross et de la vitesse pure. A l'école, c'est moins brillant et un de ses professeurs, étant tombé sur le classement d'une course dans laquelle Jacky avait été contraint à l'abandon, lui lance devant toute la classe: «Dernier en classe! Dernier en course! Vous serez dernier toute votre vie, Monsieur Ickx!».

Champion de trial

Si cette scolarité médiocre fut la clé de contact de sa carrière de pilote automobile, Jacky est «tout de même surpris, a posteriori, de n'avoir jamais eu envie de rien apprendre à l'école, puis à l'athénée, alors que le besoin d'en savoir davantage est plutôt un trait caractéristique de ma nature. Mais cela m'a tout de même été favorable, parce que si je n'avais pas été si paresseux, et si méchamment humilié par certains professeurs, qui voulaient assurément mon bien à leur manière, je ne serais pas devenu pilote de Grand Prix».

A dix-huit ans, Jacky Ickx est Champion de Belgique de Trial, catégorie 50 cm3, et il a l'âge de débuter en voiture. Au volant d'un petit coupé BMW 700S («peut-être la plus remarquable voiture d'écolage qui ait jamais existé, une sorte de Piper Cub de la compétition automobile»), puis de Ford Cortina Lotus, ce gamin, fils d'un éminent journaliste automobile, se fait autant remarquer par sa rapidité que par quelques sorties de route fracassantes. Celle des Coupes de Spa 1964 confronte brutalement le jeune Jacky à l'adversité hostile et à la terrible réalité d'un sport à haut risque. Au premier tour, gêné par une Alfa plus rapide qui vient de le dépasser, il sort de la route dans le S de Masta, un goulet entre les maisons qui se passe à fond dans la descente du circuit le plus rapide du monde. !e choc est terrible, la Cortina-Lotus s'envole et retombe sur son toit dans une petite prairie qui surplombe la route.

L'endroit est interdit, mais des spectateurs s'y étaient installés. L'un d'eux est tué. Dans la confusion, le corps de la malheureuse victime est chargé dans l'ambulance qui ramène le jeune pilote, indemne mais très choqué, vers l'infirmerie du circuit... Ce coup dur, et les remous qu'il suscita, auraient pu être fatals à la carrière de Jacky Ickx. Fort heureusement, Ford Belgium le remet en selle. Son talent évident, et la fraîcheur de sa jeunesse secouant les valeurs établies, lui ont valu l'aide précieuse de plusieurs personnes, dont il n'a pas oublié l'importance dans sa mise sur orbite.

Mais Jacky a déjà compris que s'il veut accéder au sommet d'une pyramide qui ne réserve pas de place à tout le monde, c'est à lui de forcer sa chance. Ce qu'il ne manque pas de faire au volant de la CortinaLotus, qui compte ses spécialistes comme Jim Clark ou John Whitmore. Ken Tyrrell, déjà connu pour son flair de détecteur de talent, lui propose un essai, qui débouche ensuite sur un contrat pour courir en Formule 3 à l'issue de son service militaire.Jacky Ickx ne s'est pas attardé en F3, une catégorie peuplée de jeunes loups prêts à toutes les folies, mais passage obligé vers la F2 qui, à cette poque, permettait de se mesurer à la plupart des pilotes de Grands Prix. Très vite, Ken Tyrrell discerne chez Jacky la maturité nécessaire pour le faire débuter en F2, comme équipier de Jackie Stewart. Entre-temps, Jacky Ickx a déjà été sacré Champion de Belgique en Tourisme; il a remporté les 24 Heures de Francorchamps au volant d'une BMW 2000TI en compagnie d'Hubert Hahne, un an après son frère ainé Pascal, et il a participé à ses premières 24 Heures du Mans au volant d'une Ford GT40, avec Jochen Neepash.


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© Textes et photos extraits du livre Jacky Ickx L'enfant terrible, des dossiers Michel Vaillant de Jean Graton.